La période est inédite pour les praticiens du droit du commerce international et du droit douanier. Le grand public, les directions juridiques, les directions fiscales — et même la télévision — s’intéressent (parfois sans enthousiasme…) à la douane et à ses mécanismes :

Dans ce bruit ambiant, il est plus que jamais nécessaire de trier l’essentiel de l’accessoire, et de ne pas céder à la panique.

On parle beaucoup de douane, c’est un fait.

On entend aussi beaucoup d’approximations — pour rester polie. Certains brodent, d’autres instrumentalisent l’angoisse ambiante pour vendre leurs prestations ou flatter leur ego. C’est inhérent à toute situation de crise.

Dans ce contexte, une certitude : il faut revenir aux fondamentaux, et sécuriser ses positions juridiques et commerciales :

  • S’assurer que l’on maîtrise parfaitement la valeur, l’origine, l’espèce.
  • Avoir revu ses contrats pour sécuriser les flux.
  • Lorsque l’on est représentant en douane, être pleinement conscient de son obligation de conseil.
  • Lorsque l’on est exportateur, prendre réellement en charge les problématiques douanières.

On le sait : dans beaucoup d’entreprises, la question douanière reste dispersée entre plusieurs acteurs, mal traitée, souvent reléguée au second plan. Il est peut-être temps, justement, de donner à la douane la place stratégique qu’elle mérite — non pas dans l’urgence, mais dans la durée.


Guerre commerciale : État des lieux

La situation est d’une instabilité rare : il est difficile de dresser un état des lieux qui ne soit pas démenti dès le lendemain.

ÉTATS-UNIS

Aux États-Unis, les principales modifications apportées au décret n°14257 “Réciprocité”le 9 avril 2025 marquent un tournant.

  • Les produits originaires de Chine, Hong Kong et Macao sont frappés d’un taux de 125 %, en remplacement du taux initial de 34 %, déjà plusieurs fois relevé. Donald Trump a cependant annoncé vouloir revenir sur cette mesure, comptant sur un apaisement général.
  • Pour les produits d’autres origines, un taux plancher de 10 % est instauré jusqu’au 9 juillet 2025, suspendant pour 90 jours les taux majorés par pays, notamment les 20 % prévus pour l’UE.
  • La règle de minimis est également profondément remaniée. À compter du 2 mai 2025, la suppression de la franchise de droits pour les envois postaux de moins de 800 USD est maintenue pour la Chine et Hong Kong, conformément au décret n°14256 du 2 avril 2025. Les envois seront taxés à 120 % ad valorem ou feront l’objet d’un forfait de 100 USD par colis, porté à 200 USD à compter du 1er juin.

Par ailleurs, le principe du cumul des droitsreste inchangé. Les droits additionnels de 10 % ou 125 %, ou les taux sectoriels de 25 % (acier, aluminium, automobile), viennent s’ajouter aux droits de douane classiques et autres droits préexistants, sur la base d’une valeur FOB.

Toutefois, ces droits supplémentaires ne s’appliquent pas :

  • aux produits pour lesquels un taux sectoriel de 25 % est déjà applicable (acier, aluminium , automobiles) ;
  • aux produits expressément listés à l’annexe II du décret « Réciprocité » n°14257.

Dans un autre registre, un nouveau front s’ouvre sur les ressources critiques. En effet, par décret présidentiel du 18 avril 2025 (EO 14272) , Donald Trump a lancé une enquête pour évaluer l’impact sur la sécurité nationale des importations de minéraux critiques transformés et de leurs produits dérivés.

En parallèle, le Département du Commerce a ouvert deux consultations publiques :

Au surplus, l’USTR poursuit sa lutte contre les pratiques commerciales déloyales de la Chine et a publié le 17 avril 2025 ses propositionsd’actions en matière maritime, logistique et construction navale, ouvertes à commentaires jusqu’au 19 mai 2025.

À noter également l’ouverture d’une nouvelle enquête section 232 sur les importations de camions de poids moyen et lourd et de leurs pièces, annoncée le 22 avril 2025.

Enfin, dans le domaine des énergies renouvelables, le Département du Commerce a annoncé, le 21 avril 2025, les taux définitifs de droits antidumping et compensateurs applicables aux cellules solaires provenant d’Asie du Sud-Est. Les taux moyens effectifs atteignent des niveaux impressionnants : 651,85 %, 34,41 %, 375,19 % et 395,85 % selon les pays concernés. L’USITC doit encore déterminer, d’ici le 2 juin 2025, si les États-Unis ont effectivement subi un préjudice économique.

UNION EUROPEENNE

Face à cette avalanche de mesures, l’Union européenne a voté ses propres contre-mesures dès le 14 avril 2025, mais leur application est suspenduejusqu’au 14 juillet 2025 pour laisser le temps aux négociations UE/USA.

BACK TO BASICS

Dans ce contexte, le retour rigoureux aux fondamentaux est inéluctable:

  • Connaître précisément ses flux commerciaux ;
  • Maîtriser ses réalités juridiques et logistiques ;
  • Formaliser ses process internes : documentation, traçabilité, conformité ;
  • Revoir systématiquement valeur douanière, espèce tarifaire et origine;
  • Sécuriser ses contrats en prévoyant des clauses d’adaptation ou de révision en cas de changement réglementaire ;
  • Se méfier des discours simplistes sur les relocalisations. Le précédent Harley-Davidson devant la CJUE nous rappelle que toute restructuration sera scrutée à l’aune de son objectif principal — et que la charge de la preuve pèsera sur l’opérateur.

PERSPECTIVES

À moyen terme, plusieurs tendances se dessinent :

  • Le probable développement de nouveaux accords bilatéraux pour fluidifier les flux commerciaux.
  • L’émergence d’une fiscalité du numérique renforcée, thème majeur de débat ces dernières semaines. A ce sujet, on lira avec profit l’article de La Tribune qui a interrogé mon excellent confrère Bernard LAMON .
  • Un changement profond du paradigme politique. Après des années focalisées sur la responsabilité sociale et environnementale, les entreprises et les cabinets d’avocats devront désormais assumer des choix politiques : investissement, relocalisation, gouvernance. Par exemple, comme le souligne Anne Portmann, il faudra aussi s’interroger sur la position des cabinets d’avocats face aux nouvelles politiques américaines hostiles à la diversité.

Anticiper est la condition pour transformer l’incertitude en avantage stratégique.