SHEIN : responsabilité des plateformes et droit douanier
Depuis deux jours, l’actualité se focalise sur la mise en vente sur le site SHEIN de poupées sexuelles qui représentent de manière indiscutable des enfants mineurs.
Avec mon confrère Bernard Lamon de Nouveau Monde avocats , nous nous sommes intéressés aux aspects juridiques de cet épisode.
SHEIN est-il responsable ?
Pour répondre à cette question, il faut regarder avec attention le fonctionnement de SHEIN. SHEIN est, comme Amazon, par exemple, une place de marché, ce qui signifie que SHEIN vend ses propres produits et aussi des produits mis en vente par des vendeurs tiers.
Ces objets sont mis en vente par des tiers. Dans ce cas, la responsabilité de SHEIN obéit à un régime de responsabilité qui est celui des hébergeurs, fixé à l’origine par l’article 13 de la directive 2000/31, transposé à l’article 6 de la LCEN (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004).
Le règlement DSA (n° 2022/2065 du 19 octobre 2022) n’a pas modifié fondamentalement ce régime de responsabilité.
En résumé, la place de marché n’est pas responsable a priori, mais seulement si, après avoir reçu un signalement sur la vente d’un produit illégal, elle ne l’a pas très rapidement retiré de la vente. Le site n’a aucune obligation de surveillance générale des contenus hébergés.
Il semble que SHEIN a très vite fait le nécessaire.
Ce régime spécial de responsabilité pourrait donc permettre à SHEIN d’échapper à toute poursuite.
Il reste que le DSA est allé plus loin que la directive de 2000, en créant un régime un peu plus contraignant pour les très grandes plateformes. La Commission européenne a désigné SHEIN comme très grande plateforme en avril 2024.
Il faut que SHEIN traite très vite les signalements émis par quelques acteurs désignés par l’ARCOM, les signaleurs de confiance. SHEIN doit aussi désigner un « point de contact ».
Par ailleurs, les services de la répression des fraudes pourraient, en s’appuyant sur le texte de l’article L. 521-3-1 du Code de la consommation, ordonner le déréférencement de SHEIN, comme ils l’ont fait pour Wish en 2021. Cette décision a été validée par le Conseil Constitutionnel par sa Décision n° 2022-1016 QPC du 21 octobre 2022.
Le problème sur le plan juridique est que depuis lors, le DSA a été adopté, et on pourrait se trouver face à un conflit entre la norme européenne et la règle française.
Comment peut-on librement importer dans l’UE des produits illégaux ou dangereux ?
En tout état de cause, de nombreuses sociétés importatrices françaises se posent une question : pourquoi mes marchandises sont contrôlées à l’entrée sur le territoire français, pourquoi me demande-t-on de respecter diverses normes, alors que SHEIN, TEMU, ALIEXPRESS inondent le marché de produits dangereux ou prohibés ?
Ces marketplaces expédient majoritairement des petits colis, contrairement aux sociétés importatrices qui font venir leurs marchandises en plus grosses quantités. D’un point de vue pratique, c’est une vraie différence.
En effet, selon la Commission européenne, en 2024, sur un million de produits importés, 82,2 colis ont été contrôlés en moyenne. 80% des produits non conformes proviennent de cinq pays, en particulier de Chine.

Un rapport de la Commission européenne, publié le 28 août 2025, constate que les autorités douanières parviennent de moins en moins à gérer le volume quotidien de 12 millions de petits colis issus du commerce électronique. Face à cet afflux, la vérification de la conformité des produits importés avec les normes européennes, environnementales, de santé ou de sécurité ne peut pas être assurée correctement.
Le nombre de contrôles a pourtant augmenté, et celui des produits saisis aussi. Mais le nombre de colis augmente plus vite que le nombre de contrôles : en 2024, la Commission a enregistré une augmentation de 353% des éléments entrants depuis 2022. Une croissance difficile à gérer, d’autant plus qu’il existe des disparités, en matière de contrôles, au sein des 27 pays de l’Union européenne.
Ainsi, au-delà de cette question de vente d’objets pédopornographiques,
- de nombreux produits arrivent dans l’UE sans respecter les normes européennes, comme relevé récemment par l’UFC Que choisir;
- les entreprises européennes subissent une concurrence déloyale ;
- les consommateurs sont exposés à des pratiques trompeuses ;
- les contribuables européens doivent supporter les coûts croissants liés aux déchets non recyclables.
Depuis 2023, l’UE prépare un nouveau code des douanes, une réforme qui répondra à la complexité croissante du commerce mondial, à l’expansion du commerce électronique et à la nécessité d’une réponse européenne plus coordonnée face aux défis et aux crises internationales :
- la création d’une autorité douanière de l’UE à partir de 2028. Lille est d’ailleurs candidate pour l’accueillir ! Elle gérera les données en temps réel via une plateforme partagée (EU Customs data hub) pour la soumission des informations douanières, ce qui améliorera la traçabilité des produits ;
- L’introduction de frais de traitement pour les petits envois de commerce électronique.
Enfin, le gouvernement Lecornu a annoncé vouloir instaurer une taxe d’un montant de 2 euros sur chaque petit colis en provenance de l’étranger (PLF pour 2026, article 22). Une proposition qui se répercutera sur le prix des produits et donc sur les consommateurs, et qui impliquera la mise en place par les opérateurs de systèmes de collecte et de gestion de cette taxe.
Au-delà de la sidération suscitée par la mise en vente de produits illégaux, cette affaire met en lumière les failles structurelles du contrôle des plateformes mondiales et la fragilité des outils européens de régulation.
